Le jeûne du samedi

Est-il autorisé de jeûner le samedi ? Faut-il obligatoirement jeûner un jour avant ou après ? Analysons les textes rapportés à ce sujet à la lumière des sciences du hadith et du fiqh.

Résumé de l’article : Jeûner le samedi dans le cas où il correspond à un jour important ou une habitude de jeûne qu’à la personne est donc autorisé selon la quasi-totalité des savants toutes écoles confondues, quand bien même on le jeûnerait seul, parce que le ḥadīth de l’interdiction (considéré faible par énormément de savants comme Mālik, Aḥmad, Ibn Hajar, Ibn Taymiyya… mais même s’il serait authentique) n’interdit cela que pour ne pas que la personne vénère le samedi à l’image des juifs en le spécifiant par le jeûne. A partir du moment où la personne n’a pas cette intention et ne jeune pas le jour parce que c’est un samedi mais parce que c’est tel jour important ou que c’est une habitude qu’il a prise, alors il n’y a aucun mal à cela selon cette quasi-totalité des savants.

Cette année, le jour de ʿArafa correspondra au samedi. Et comme toutes les années où cet événement se produit, beaucoup de frères propagent l’avis de certains savants à ce sujet disant qu’il n’est pas légiféré de jeûner ce jour.

Il est donc opportun à cette occasion de présenter une légère discussion scientifique de cet avis qui est sans conteste très minoritaire et abandonné par la quasi-totalité des savants. Voici les arguments montrant que cet avis est faible et n’est pas établit.

(Pour ceux qui n’auraient pas le temps de lire la démonstration argumentée dans son intégralité, descendez tout en bas pour lire la conclusion, ou lire le résumé à la fin de chaque partie).

PARTIE 1 – Science du Ḥadīth : l’argument de l’interdiction et sa faiblesse

Tout d’abord, présentons l’argument de cet avis soutenu. L’avis d’interdire le jeûne du samedi en toutes circonstances et de considéré cela illicite -ḥarām – se base sur le ḥadīth que rapportent les imām Abū Dāwūd (2421), At-Tirmidhī (744) et Ibn Mājah (1726) dans leurs Sunan respectives selon AbduLlāh ibn Busr qui rapporte de sa sœur Aṣ-Ṣammā’ que le Prophète ﷺ aurait dit :

« Ne jeûnez pas le samedi sauf dans ce qui vous est obligatoire, et si l’un d’entre vous ne trouve que l’épluchure d’un grain de raisin ou une branche d’arbre, qu’il la mâche (pour ne pas être compté en état de jeûne) ».

A) La faiblesse de la chaîne de transmission de ce récit
Il faut en premier lieu savoir que ce ḥadīth a une chaîne de transmission contestée qui a été considérée faible par énormément de grands savants du ḥadīth, parmi eux : 

1. L’imām Mālik.

Abū Dāwūd rapporte en effet dans ses Sunan (2424) l’imām Mālik qu’il a dit : « Ce récit est un mensonge ».

2. Le grand imām, le savantissime Ibn Shihāb Az-Zuhrī, shaykh de Mālik.

Abū Dāwūd rapporte de lui dans ses Sunan (2423) ainsi qu’Al-Ḥākim (1/436) et Al-Bayhaqī (4/302) avec une chaîne de transmission authentique selon Al-Layth qui rapporte d’Ibn Shihāb que lorsque lui était évoqué le ḥadīth interdisant le jeûne du samedi disait :

« C’est un ḥadīth Ḥimṣī » (car le ḥadīth est rapporté par les gens de Ḥimṣ ; plusieurs de ses rapporteurs étaient des gens de cette ville, et ce sont des rapporteurs faibles comme ʿAbd Allāh ibn Dīnar Al-Ḥimṣī, Isḥāq ibn Ibrāhīm ibn Zabrīq al-Ḥimṣī etc). Ce qu’il voulait donc dire ici est que ce ḥadīth est faible.

Aṭ-Ṭaḥāwī rapporte également de lui (2/81) d’une chaîne authentique qu’il a été questionné sur le jeûne du samedi. Il a dit : « Il n’y a aucun mal à cela ». Certains lui dirent alors : « Il a été rapporté un récit du Prophète ﷺ le considérant détestable ! ». Az-Zuhrī dit alors : « Ce ḥadīth est un ḥadīth Ḥimṣī ».

Aṭ-Ṭaḥāwī dit ensuite : « Az-Zuhrī ne l’a donc pas considéré comme un ḥadīth qui a de la valeur, et l’a considéré faible ».

À noter qu’Ibn Shihāb Az-Zuhrī (mort en 124 de l’Hégire) est une sommité dans la science du ḥadīth et un illustre savant parmi les salaf, c’est d’ailleurs le premier à avoir rassemblé les aḥādīth et l’auteur du premier recueil (bien avant Al-Bukhārī, Muslim ou même Mālik qu’Allāh leur fasse miséricorde), en quelque sorte donc l’un des fondateurs de cette science.

3. Le grand imām Al Awzāʿī.

Abū Dāwūd rapporte également de lui avec une chaîne de transmission authentique (4224) qu’il a dit concernant ce ḥadīth : « Je n’ai cessé de le cacher jusqu’à que je l’ai vu se propager » ce qui signifie qu’il le considérait faux, c’est pourquoi il l’a caché.

L’imām An-Nassā’ī qui dit : « C’est un ḥadīth confus (muḍṭarib, une catégorie des ḥadīth faibles) » comme le rapporte Al-Mundhirī dans « Mukhtasar As-Sunan » (3/300), Ibn Ḥajar dans « Al-Talkhiṣ » (2/216), Ibn Al-Qayyim dans « Zād-ul-Maʿād » (2/79) et d’autres. 

  1. L’imām Aḥmad.

En effet, son élève Abū Bakr Al-Athram rapporte ce qui suit : 

« J’ai entendu Abā AbdiLlāh (surnom de l’imām Aḥmad ibn Ḥanbal) être questionné au sujet du jeûne du jour du samedi, peut-on le jeûner seul ?

Il dit : « Quant au jeûne du jour du samedi uniquement, il est rapporté à ce sujet le ḥadīth d’Aṣ-Ṣammā’ (la rapporteuse du ḥadīth). Yaḥyā ibn Saʿīd (grand imām parmi les tābiʿīn) le rejetait, et a refusé de me le rapporter. Il l’avait lui-même entendu de Thawr (un des rapporteurs). » Aḥmad dit : « Je l’ai ensuite entendu de Abu ʿĀṣim ».

Al Athram dit ensuite : « Et l’argument d’Abi ʿAbdiLlāh (l’imām Aḥmad) pour soutenir le caractère permis de jeûner le samedi est que tous les aḥādīth contredisent le ḥadīth de ʿAbd Allāh ibn Busr ». Puis Al Athram cita tous les aḥādīth à ce sujet (voir plus bas et dans le grand B).

Al-Athram qui l’a lui même d’ailleurs considéré « mansūkh » (abrogé, donc non valable) dans « An-Nāsikh wal-Mansūkh » (p.170), où il dit : « Ce ḥadīth contredit tous les autres aḥādīth » et il les cita.

  1. L’imām Abū Dāwūd

Il dit dans les références mentionnées précedemment : « Ce ḥadīth est abrogé (mansūkh) ».

  1. Le grand imām Aṭ-Ṭaḥāwī Al-Ḥanafī

Dans « Sharh Maʿānī Al-Āthār » il dit après avoir cité ce ḥadīth (2131) : 

«Dans les nombreux aḥādīth rapportés permettant le jeûne du samedi d’un jeûne surérogatoire énormément plus connus et plus clairs, qui sont entre les mains des savants, il y a une preuve plus établie que ce ḥadīth isolé (shādh, une catégorie du ḥadīth faible) qui contredit tous ces aḥādīth ».

Il cita notamment comme preuves montrant la permission (à l’instar de l’imām Aḥmad plus haut) les aḥādīth incitant à jeûner le jeûne du prophète Dāwūd, à savoir un jour sur deux, ou les aḥādīth incitant à jeûner les jours blancs, qui tomberont obligatoirement à un moment sur le jour du samedi. Ce qui prouve que ce ḥadīth est contestable comme nous allons l’expliquer dans le grand B qui suit in shā Allāh.

Aṭ-Ṭaḥāwī finit en disant : « Et il est possible pour nous, et Allāh est plus savant, dans le cas où ce ḥadīth est réellement authentique, que l’interdiction de le jeûner est pour ne pas le vénérer, dans le cas où la personne s’empêcherait de manger, de boire et d’avoir des rapports en ce jour comme le font les juifs. Mais si la personne le jeûne sans l’intention de le vénérer, et sans vouloir ce que veulent les juifs lorsqu’ils arrêtent de travailler en ce jour, alors à ce moment-là ce n’est plus détestable ».

  1. Le grand savant Al-Qāḍī Abū Bakr Ibn-ul-ʿArabi Al Māliki

Il dit dans « Al-Qabas sharh Muwaṭṭa’ Mālik ibn Anas » (2/514) : « Quant au [jeûne du] samedi, le ḥadīth rapporté à ce sujet n’est pas authentique, et quand bien même il le serait, son sens serait de se différencier des gens du Livre (donc non pas d’interdire l’acte du jeûne mais l’intention de vénérer le jour du samedi par le jeûne) ». 

  1. Ibn Ḥajar Al-ʿAsqalāni Ash-Shāfiʿī.

Cette sommité de la science du ḥadīth qui n’est plus à présenter pour personne a dit dans son livre « At-Tahdhīb » [ainsi que des paroles similaires dans « Bulūgh Al-Marām » n°688] : « Ce ḥadīth est vicié (ma’lūl) par le fait qu’il a le défaut de la confusion (iḍṭirāb ; comme mentionné précédemment, cela signifie qu’il est faible).

Il dit à un autre passage du « Tahdhīb » (12/326) : « Ce ḥadīth est atteint d’une très forte confusion (iḍṭirāb shadīd) ». 

  1. Ibn Taymiyya

Dans son livre « Iqtiḍā Aṣ-Ṣirāṭ Al-Mustaqīm » (2/72 à 75, puis p.81) il confirma les paroles d’Al-Athram précédemment mentionnées puis dit : 

« Ainsi, ce ḥadīth est soit isolé non retenu (shādh ghayru maḥfūdh, donc faible) soit abrogé (mansūkh), et ceci est la voie des anciens parmi les élèves l’imām Aḥmad qui l’ont rencontré, comme Al-Athram et Abū Dāwūd ».

  1. Ibn Al-Qayyim.

Il confirma les propos de son shaykh Ibn Taymiyya comme mentionné dans son livre « Tahdhîb As-Sunnan » (3/297 à 298, puis jusqu’à la page 301). Même s’il a opté pour un deuxième avis ensuite qui est de rassembler entre tous les textes cités (comme il mentionne dans « Zād-ul-Maʿād » (2/79-80)).

  1. Ibn Mufliḥ Al-Ḥanbalī

La sommité ḥanbalite, qui fut également l’élève d’Ibn Taymiyya et qui a lui aussi appuyé les paroles de son professeur dans son livre « Al-Furūʿ » (3/92).

B) La faiblesse de ce récit au niveau de son texte

En effet, ce texte dans son contenu s’oppose clairement à énormément de aḥādīth authentiques – comme mentionné précédemment dans les paroles de beaucoup d’imāms – qui sont plus authentiques que lui, ce qui le fait tomber : soit dans la catégorie du ḥadīth shādh (isolé) qui est une catégorie du ḥadīth faible ; soit dans la catégorie du ḥadīth mansūkh (abrogé) qui est un ḥadīth qui était valable un certain temps puis qui a été annulé par un autre texte venu ensuite.

Nous en citerons trois qui suffiront :

  1. Le ḥadīth du jeûne de Dāwūd.

Selon ʿAbd Allāh ibn ʿAmr, le Prophète ﷺ a dit : « Le meilleur des jeûnes est le jeûne de Dāwūd : il jeûnait un jour et rompait le suivant » rapporté par Al-Bukhārī et Mouslim.

Or logiquement dans ce cas-de-figure on se retrouvera contraint de jeûner le samedi ; et si l’on prétend que le jeûne du samedi est interdit il est impossible d’effectuer le jeûne de Dāwūd. En effet, si la personne commence par exemple à jeûner le dimanche et jeûne un jour sur deux, elle finira par jeûner le samedi suivant. Et si la personne commence à jeûner lundi elle finira par jeûner le samedi de la semaine d’après.

Il est donc impossible de concilier entre les deux aḥādīth (celui qui interdit le jeûne du samedi et celui-ci), il est impératif d’en choisir un et de considérer le deuxième shādh (isolé), comme stipulé dans la science du ḥadīth et celle d’Uṣūl al-Fiqh.

Or ce ḥadīth est plus fort parce qu’il est rapporté par Al-Bukhārī et Muslim ce qui est le degré le plus haut d’authenticité, et le ḥadīth de l’interdiction, quand bien même on considérerait que sa chaîne est bonne, est rapporté par les gens des Sunan (Abū Dāwūd et At-Tirmidhi) ce qui est un degré plus faible qu’Al-Bukhārī et Muslim.

2. Le ḥadīth du jeûne du vendredi.

Notre mère Juwayriyya qu’Allāh l’agrée rapporte que le Prophète ﷺ est rentré chez elle un vendredi alors qu’elle jeûnait. Il lui dit : « As-tu jeûné hier ? ». Elle dit : « Non ». Il lui dit : « Et comptes-tu jeûner demain ? ». Elle dit : « Non ». Il lui dit : « Alors rompt ton jeûne », rapporté par Al-Bukhārī.

Sa parole « comptes-tu jeûner demain ? » concerne évidemment le samedi qui est le lendemain du vendredi, or s’il était interdit il serait impossible que le Prophète ﷺ propose à son épouse de le jeûner. Il est donc une nouvelle fois impossible de concilier les deux ḥadīth , et on se doit de prendre le plus fort, qui est encore une fois celui-ci car rapporté par Al-Bukhārī.

Remarque : ceux qui sont d’avis d’interdire le jeûne du samedi répondent à cet argument que le ḥadīth de Juwayriyya n’autorise de jeûner le samedi que combiné au vendredi, ce qui serait une exception à la règle ; de plus l’interdiction concerne le fait de jeûner le samedi seul et pas combiné. Nous disons que le ḥadīth interdisant le jeûne du samedi n’autorise aucune exception vu que la seule exception qui est faite dans ce ḥadīth est le jeûne obligatoire. Ainsi, il est impossible de rajouter une autre exception.

En effet, logiquement, si l’on dirait : ne fais pas ceci, sauf cela ; il est parfaitement compréhensible que la seule exception possible est celle qui est mentionnée, et pas une autre. Également, il ne concerne pas seulement le jeûne du samedi seul mais le jeûne du samedi en général, seul ou accompagné d’un autre jour. C’est ce qu’Ibn Taymiyya a dit après avoir cité les paroles d’Al-Athram mentionnées plus haut : 

« Al-Athram prit comme preuve pour cela les textes mutawātir (qui est le degré suprême d’authenticité) prouvant la permissivité de jeûner le samedi. Il est impossible de dire que l’interdiction du jeûne ne concerne que le samedi jeûné seul, car le texte du ḥadīth stipule : « Ne jeûnez pas le samedi sauf dans ce qui vous est obligatoire », et l’exception prouve que l’interdiction est globale, ce qui implique donc que le ḥadīth englobe le jeûne du samedi peu importe la situation, étant donné que si l’interdiction ne concernait que le jeûne du samedi spécifiquement le jeûne obligatoire ne serait pas concerné car on ne peut pas spécifier le jeûne du samedi dans un jeûne obligatoire.

Cette exception est donc une preuve impliquant le fait que tous les types de jeune sont concernés, non pas comme le vendredi dans lequel il a clarifié qu’il est interdit de le spécifier par le jeûne. Ainsi, ce ḥadīth est soit isolé non retenu (shādh ghayru maḥfūdh, donc faible)) soit abrogé (mansūkh), et ceci est la voie des anciens parmi les élèves l’imām Aḥmad qui l’ont rencontré, comme Al Athram et Abū Dāwūd » (la fin de cette citation ainsi que la référence ont été mentionnés précédemment).

3.Le ḥadīth du jeûne des jours blancs.

Abū Dhar rapporte que le Prophète ﷺ lui a dit: « Si tu jeûnes trois jours dans le mois, alors jeûne le treizième, le quatorzième et le quinzième » rapporté par At-Tirmidhī.

ʿAbd-ul-Malik Ibn Qudāma Ibn Malḥān, rapporte que son père – qu’Allāh les agrée – dit : « Le Prophète ﷺ nous ordonnait de jeûner les jours blancs, le treizième, le quatorzième et le quinzième et il disait: « C’est comme le jeûne du mois entier » rapporté par An-Nassā’ī.

En effet, il est parfaitement logique qu’au fil des mois le treizième, le quatorzième et le quinzième jour tomberont forcément sur un samedi. Or le Prophète ﷺ incite ici, pour ceux qui prennent en considération ce ḥadīth, à jeûner sans exception. Ce sont donc une nouvelle fois des preuves impossible à concilier, et on se doit de choisir la preuve la plus forte.

Or ici c’est les aḥādīth des jours blancs, car, à défaut d’être dans un recueil plus authentique (ils sont en effet pour la plupart rapporté aussi dans les Sunan), ces aḥādīth sont néanmoins énormément plus nombreux que le ḥadīth du jeûne du samedi. Nous en avons cité deux versions, celui d’Abū Dhar chez At-Tirmidhi, celui de ʿAbd-ul-Malik Ibn Qudāma Ibn Malḥān chez An-Nassā’ī.

Il y a également un ḥadīth rapporté par Abū Hurayra cité par Aḥmad dans son Musnad et Ibn Ḥibbān, un ḥadīth rapporté par Jarīr ibn ʿAbdiLlāh chez An-Nassā’ī également. C’est donc une preuve plus forte.

RÉSUMÉ DE LA PARTIE 1

De nombreux imām considèrent ce ḥadīth invalide, soit pour sa faiblesse au niveau de sa chaîne, soit parce qu’ils considèrent que son texte est abrogé (mansūkh), étant donné qu’il s’oppose à énormément de textes authentiques avec lesquels il est impossible de le concilier. À l’instar du ḥadīth du jeûne de Dāwūd, jeûner un jour sur deux, ce qui est impossible si on considère que le jeûne du samedi n’est pas permis ; ou le ḥadīth de Juwayriyya dans lequel le Prophète ﷺ l’invite à jeûner le lendemain du vendredi (donc le samedi).

Parmi ceux qui l’ont considéré faible ou abrogé, de très grands imām tels qu’Ibn Shihāb Az-Zuhrī, Al Awzāʿī,, Mālik ibn Anas, Aḥmad ibn Ḥanbal, ses deux élèves Al-Athram et Abū Dāwūd , An-Nassā’ī, Aṭ-Ṭaḥāwī , Ibn-ul-ʿArabī, Ibn Ḥajar, Ibn Taymiyya, Ibn-ul-Qayyim, Ibn Mufliḥ et d’autres.

PARTIE 2 – Science du Fiqh : les avis des savants concernant le jeûne

Une fois le jugement du ḥadīth mentionné, passons à l’avis des savants du Fiqh. Pour recadrer le propos, mentionnons que nous traiterons ici seulement du fait de jeûner le jour du samedi uniquement, et pas suivi d’un jour (car dans ce cas les savants considèrent pour la grande majorité que c’est permis), et pas non plus dans le cas où le jour du samedi correspondrait à un jour important qu’il est demandé de jeûner. 

En d’autres termes, nous ne discuterons que la question du jeûne du samedi seul sans aucune occasion pour le justifier. Les juristes ont divergé sur ce sujet en deux avis : certains ont considéré le jeûne du samedi permis en tous cas, ni détestable ni interdit ; prenant comme preuve le fait que le ḥadīth n’est pas authentique. C’est l’avis d’Az-Zuhrī, d’Al Awzāʿī, d’Abū Dāwūd, c’est un des deux avis rapportés de l’imām Aḥmad.

C’est également l’avis d’Ibn Taymiyya et d’Ibn Al Qayyim – bien entendu à condition que la personne n’ait pas l’intention délibérée de vénérer ce jour par le jeûne comme le font les juifs, auquel cas ils sont tous d’accord pour l’interdire, pas parce qu’il a jeûné mais parce qu’il a cherché à leur ressembler.

D’autres (et c’est le second avis) considèrent que c’est détestable et non interdit, car ils ont considéré le ḥadīth authentique et ont réunit entre les preuves en disant que l’interdiction ne peut pas être une interdiction de taḥrīm (interdiction absolue) mais seulement de karāha (détestabilité), et ceci est l’avis de la majorité, les ḥanafites (« Badā’iʿ aṣ-Ṣanā’iʿ » d’Al-Kāsānī (2/79), « Ḥāshiyat Aṭ-Ṭahṭāwī ʿalā marāqi-l-falāḥ » (p.436)) les shāfiʿites (« Al Majmūʿ » d’An-Nawawi (6/439) et « Mughni-l-muhtāj » (1/447)) et les ḥanbalites dans le deuxième avis qui est l’avis de base de leur école (« Al-Mughnī » (3/105), « Al Inṣāf » (3/347)).

C’est également l’avis d’At-Tirmidhi qui rapporte le ḥadīth de ʿAbd Allāh ibn Busr, à la suite duquel il dit : « C’est un ḥadīth bon, et le sens du caractère détestable du jeûne de ce jour est dans le cas où la personne spécifierait le jour du samedi par le jeûne, parce que les juifs vénèrent le jour du samedi » Fin de citation.

Quant aux mālikites, l’avis de l’école est de considérer cela permis, étant donné qu’ils ne considèrent même pas le jeûne du vendredi isolé comme détestable, et disent qu’il est permis.

Il est rapporté dans le Muwaṭṭa’ (n°865) que l’imām Mālik a dit : « Je n’ai entendu personne des gens de sciences et de droit, ainsi que de ceux que l’on prend comme exemple, interdire le jeûne du jour du vendredi. Son jeûne est une bonne chose, et j’ai vu nombre de gens de science le jeûner et même chercher à le jeûner en particulier ».

Al-Bājī a dit en explications de ces propos dans « Al-Muntaqā » (2/76) : « Ceci est la voie de Mālik – qu’Allāh lui fasse miséricorde – de dire que le jeûne du vendredi n’est pas interdit, et qu’il est autorisé de le jeûner pour celui qui veut. Il en va de même pour tous les jours de la semaine, isolés ou liés avec d’autres. Simplement, il est détestable de chercher à jeûner un jour en particulier précisément, et ce au vu du ḥadīth de ʿAlqama qui dit : « J’ai dit à ʿĀ’isha : « Est-ce que le Messager d’Allāh ﷺ choisisait un jour spécifiquement pour faire certains actes ? ». « Non, répondit-elle, ses actes étaient au contraire constants » ».

Ceci est renforcé par ce que nous avons mentionné précédemment d’Ibn-ul-ʿArabi qui affirme que le ḥadīth n’est pas authentique. Néanmoins Ibn Juzay cite dans « Al Qawānīn Al Fiqhiyya » (p.78) parmi les types de jeûnes détestables le jeûne du samedi, ce qui serait donc un avis de l’école.

Malgré tout, tout ce qui a été mentionné ici ne concerne que le jeûne du samedi seul sans aucune occasion, dans le cas où la personne prendrait un samedi et souhaiterait le jeûner seul parce que c’est un samedi. Et le plus « grave » jugement cité ici est le fait que c’est détestable, et non interdit. En effet seule une extrême minorité parmi les hanafites ont prétendu que c’était interdit, mais c’est un avis qui est délaissé par la grande majorité comme le lecteur peut le constater, de même qu’il est réfutable et très faible au vu de ce qui est mentionné plus haut. 

Quant au cas où la personne jeûne un jour avec le samedi, ou qu’un jour important ou un jour que la personne avait l’habitude de jeûner tombe un samedi, alors ce n’est pas détestable selon la quasi-totalité des savants et écoles précédemment mentionnés (sauf une minorité de hanafite encore une fois). 

Ibn Qudāma a dit à ce sujet dans « Al-Mughnî » (3/105): « Nos compagnons (les savants de l’école Ḥanbalite) ont dit : il est détestable de jeûner le jour du samedi seul (…) et ce qui est détestable est de jeûner ce jour-là spécifiquement. Par contre s’il jeûne avec un autre jour, ce n’est pas détestable, au vu du ḥadīth de Abu Hurayra et de Juwayriyya, et s’il correspond à un jeûne que la personne à l’habitude d’effectuer ce n’est pas non plus détestable ».

An-Nawawi a dit quant à lui dans « Al-Majmūʿ » (6/439) : « L’avis authentique de manière générale est ce que nous avons mentionné de nos compagnons (les savants du madhhab Shāfiʿi), du fait qu’il est détestable de spécifier le jour du samedi par le jeûne, à condition que ce ne soit pas une habitude que la personne a (auquel cas ce ne serait pas détestable) ».

RÉSUMÉ DE LA PARTIE 2

Les savants ont divergé concernant le fait de jeûner du samedi uniquement et spécifiquement. Certains considèrent que c’est permis (Az-Zuhrī, Al Awzaa’i, Abū Dāwūd , l’école de l’imām Mālik, un des deux avis de l’école de l’imām Aḥmad, Ibn Taymiyya, Ibn Al Qayyim) – bien entendu à condition que la personne n’ait pas l’intention délibérée de vénérer ce jour par le jeûne comme le font les juifs. 

D’autres considèrent que c’est détestable mais pas interdit, c’est l’avis de l’école ḥanafite, shāfī’ite et hanbalite selon l’avis de base chez eux et un des avis de l’école mālikite cité par Ibn Juzay.

Néanmoins, il s’agit ici de si le jeûne du samedi serait sans raison. Tous ces savants sont d’accord pour dire que jeûner le samedi dans le cas où la personne jeûne un jour avec, avant ou après, ou qu’un jour important tombe un samedi comme le jour de ʿArafa, ou un jour que la personne avait l’habitude de jeûner, n’est absolument pas détestable, et est permis et même recommandé.

CONCLUSION

Jeûner le samedi dans le cas où il correspond à un jour important ou une habitude de jeûne qu’à la personne est donc autorisé selon la quasi-totalité des savants toutes écoles confondues, quand bien même on le jeûnerait seul, parce que le ḥadīth de l’interdiction (considéré faible par énormément de savants comme Mālik, Aḥmad, Ibn Hajar, Ibn Taymiyya… mais même s’il serait authentique) n’interdit cela que pour ne pas que la personne vénère le samedi à l’image des juifs en le spécifiant par le jeûne.

À partir du moment où la personne n’a pas cette intention et ne jeune pas le jour parce que c’est un samedi mais parce que c’est tel jour important ou que c’est une habitude qu’il a prise, alors il n’y a aucun mal à cela selon cette quasi-totalité.

La seule chose que les savants mentionnent est le fait que la personne spécifie le jeûne du samedi en ne jeûnant que ce jour sans aucune raison particulière, ce qui est considéré détestable par la majorité d’entre eux, seule une extrême minorité de ḥanafītes considère cela interdit (dans le cas-où ça ne correspondrait pas à un jour important).

Il est donc parfaitement légiféré de jeûner les jours importants tels que ʿArafa qui tombent un samedi, et il n’y a absolument aucun mal à cela. Ce n’est même pas détestable selon l’énorme majorité, que dire de prétendre que c’est interdit… ?!

Qu’Allāh accepte notre jeûne ainsi que toutes nos œuvres, et en fasse des actes sincères pour Lui.

Mohamed Nadhir Al Khannoussi

22 octobre 2015
Modifié et corrigé le 9 août 2019